Jack Latour, infirmière responsable des soins pour Médecins Sans Frontières (MSF), est récemment revenue de Gaza, et son témoignage est un appel à la conscience. Ce qu’elle a vu et vécu là-bas dépasse tout ce qu’elle a pu rencontrer au cours de ses nombreuses missions humanitaires, que ce soit les programmes de malnutrition au Tchad ou la violence en Haïti. La situation à Gaza, explique-t-elle, est différente : elle est « tellement intentionnelle », « créée en plein contrôle par les forces israéliennes » avec un « désir de détruire un peuple ».
Un quotidien d’impuissance et de résilience
L’infirmière témoigne de la proximité du danger, ayant travaillé à côté d’un hôpital bombardé. Malgré son retour au Canada, son cœur reste auprès de ses collègues palestiniens qui continuent d’œuvrer sur place. Ces soignants font preuve d’une résilience incroyable, car ils vivent eux-mêmes les mêmes conditions que les patients : habitant dans des tentes depuis près de deux ans, ils doivent chercher de l’eau et de la nourriture après leurs heures de travail. Face à cette dévotion exceptionnelle, Madame Latour souligne que le minimum que la communauté humanitaire internationale puisse faire est d’être présente, d’apporter son support.
Le plus difficile, confie-t-elle, est de devoir dire « non » des centaines de fois par jour. Non à un père demandant de la nourriture pour son enfant, si celui-ci n’est pas encore assez malnutri pour entrer dans un programme. Non à des médicaments pour une grand-mère, non à un accès sécurisé ou même à de l’argent. Ces refus sont d’autant plus déchirants que les ressources et les capacités nécessaires sont disponibles juste à l’extérieur de la bande de Gaza. Pour MSF, cette situation est intolérable, car un afflux massif de camions d’aide permettrait de subvenir aux besoins. Pourtant, depuis le 18 mai et le blocage complet, seulement neuf camions de vivres de MSF ont pu entrer, une goutte d’eau face à l’immensité de la souffrance.
La nourriture comme enjeu mortel
La population de Gaza dépend à 86 % de l’aide humanitaire. L’agriculture et les infrastructures essentielles (électricité, essence) ont été détruites, rendant toute autosuffisance impossible. La malnutrition s’aggrave graduellement dans toutes les tranches d’âge, notamment chez les enfants. Mais le plus révoltant est que la distribution de l’aide humanitaire est devenue une épreuve mortelle. Jack Latour a personnellement géré des « afflux massifs de blessés » – par balles et lacérations – qui arrivaient des centres de distribution. Pour elle et MSF, ce qui se passe sur ces sites est « génocidaire » : personne ne devrait risquer sa vie en cherchant de l’aide.
Face aux allégations selon lesquelles le Hamas volerait la nourriture, Madame Latour les rejette comme de pures excuses. Auparavant, un système de distribution organisé avec une base de données électronique permettait de suivre l’aide. Désormais, l’absence de contrôle sur les distributions offre un prétexte aux forces israéliennes pour créer un système sous leur contrôle.
Des séquelles qui marqueront des générations
Cette crise va bien au-delà des souffrances physiques. Elle est une forme de torture psychologique. La distribution au compte-gouttes de ressources vitales – par exemple, deux jours d’essence pour un hôpital – maintient la population dans un état constant de désespoir et de découragement.
Les conséquences à long terme sont incalculables. Les enfants n’ont pas eu accès à l’école depuis presque deux ans, perdant des périodes d’apprentissage cruciales. Les universités et l’ensemble du système scolaire ont été détruits, laissant des séquelles profondes. Le traumatisme mental et psychologique des enfants est immense. La malnutrition des mères entraîne également un risque accru de bébés prématurés et malades. Même si un cessez-le-feu était décrété aujourd’hui, les répercussions de cette crise se feront sentir « pendant des années et des années ».
Malgré l’ampleur de cette tragédie et la perte récente d’une collègue, Jack Latour affirme son intention de retourner à Gaza. Le message de MSF est clair : même si le système politique semble avoir abandonné les habitants de Gaza, les humanitaires ne peuvent et ne vont pas s’arrêter.
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