Quand l’état sous-traite la censure : décryptage d’une stratégie de contrôle de la parole publique

La liberté d’expression, pilier de toute démocratie, semble aujourd’hui plus que jamais mise à l’épreuve en France. Deux récents événements ont secoué le paysage médiatique et politique, soulevant de vives interrogations sur la direction prise par le gouvernement en matière de régulation de l’information en ligne et de contrôle des médias. Il s’agit de la création d’une coalition d’associations pour lutter contre la « haine en ligne » et de la validation par le Conseil d’État du décompte du temps de parole de Philippe de Villiers par l’Arcom. Au-delà des discours officiels, beaucoup y voient une tentative manifeste de censure et de musellement des voix critiques.

La coalition contre la « haine en ligne » : un « nouveau fond Marianne » ?

Annoncée le 9 juillet par la ministre déléguée à l’égalité homme-femme et à la lutte contre les discriminations, Aurore Berger, la création d’une coalition de 12 associations vise officiellement à modérer les propos relatifs au racisme, à la haine antimusulmane, à l’antisémitisme, à l’homophobie et à la misogynie sur les réseaux sociaux. Parmi ces associations figurent notamment le CRIF, la Fédération des centres LGBT I+, la LICRA, le Planning Familial, SOS Homophobie, et SOS Racisme. Ce qui interpelle, c’est que ces associations, déjà financées par l’État, recevront des fonds supplémentaires pour recruter du personnel dédié à cette mission. Plus encore, cette coalition agira « en lien direct avec l’Arcom », conférant à ses signalements un statut « prioritaire ».

Pour Amélie Ismaie, journaliste indépendante, cette initiative n’est rien de moins qu’une forme de « nouveau fond Marianne ». Elle rappelle que le Fond Marianne visait à financer des contenus discréditant les opposants à Emmanuel Macron sous couvert de lutte contre le complotisme et la haine en ligne. La logique est la même : financer des associations pour qu’elles scrutent les réseaux sociaux, avec une forte probabilité de viser des comptes proches des oppositions politiques. Par exemple, la critique de l’État israélien pourrait être assimilée à de l’antisémitisme pour viser LFI, tandis que certaines associations antiracistes pourraient cibler des contenus liés au Rassemblement National. L’objectif, selon elle, est clair : tenter une censure des réseaux sociaux.

Cette démarche s’inscrit dans le cadre du Digital Services Act (DSA) européen, qui prévoit la désignation de « signaleurs de confiance ». Ces entités voient leurs signalements traités en priorité par les plateformes, sous peine d’amendes colossales (jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires). Le véritable enjeu irait au-delà de la simple « haine en ligne » pour inclure les contenus jugés « complotistes », c’est-à-dire, selon certains observateurs, tout propos critique envers Emmanuel Macron ou l’Union européenne. La précarité financière de ces associations, qui dépendent des fonds publics, les rendrait d’autant plus malléables et soumises aux exigences du pouvoir.

L’Arcom et le Conseil d’État : la fabrique de l’étiquetage politique

Le second événement majeur est la décision du Conseil d’État du 11 juillet de valider le décompte du temps de parole de Philippe de Villiers par l’Arcom. En mars 2024, l’Arcom avait étiqueté Philippe de Villiers, qui n’a pourtant plus de mandat politique, comme appartenant à la « divers droite », imposant aux chaînes qui l’invitent de comptabiliser son temps de parole sous peine d’amende. D’autres personnalités comme Nicolas Conquer ou Jean Messia sont également visées.

Cette décision soulève de nombreuses questions, d’autant plus que le Conseil d’État lui-même avait statué le 4 juillet que, pour contrôler le pluralisme, l’Arcom n’avait pas à « classer chaque intervenant » mais devait « apprécier la diversité des expressions de façon globale ». Régis de Castelnau, avocat, y voit une décision « politicienne » et « grotesque », dénonçant la nécessité de « coller une étiquette » pour contrôler la parole. Il rappelle que l’Arcom n’est pas une institution indépendante, son président étant nommé par le Président de la République, ce qui en fait une « courroie de transmission du pouvoir ».

Le problème réside dans le « deux poids deux mesures ». Alors que des personnalités étiquetées « divers droite » sont soumises à un décompte strict, des situations de potentiels conflits d’intérêts ou de liens avérés avec le pouvoir macroniste, comme la présence de l’épouse de monsieur Glucksmann à la présentation du 20h de France 2 ou les interventions régulières de Thierry Breton sur BFM TV, ne semblent pas inquiéter l’Arcom.

Une stratégie de contrôle généralisée et les dangers de la « sécurité cognitive »

Ces deux affaires s’inscrivent dans une logique plus large de contrôle de la parole publique. Régis de Castelnau évoque le concept de « sécurité cognitive » cher au président, qui viserait à empêcher les citoyens de « connaître la vérité » et à leur faire penser « comme on vous dit de le faire ». Il décrit un système à trois étages : les politiques mentent, la presse « totalement soumise à l’oligarchie » relaie ces mensonges, et les espaces d’expression démocratiques sur internet, qui offrent une « parole de vérité », sont considérés comme un danger à réguler, voire à interdire. La sous-traitance à des « officines privées » pour surveiller les citoyens et alerter les « organes de répression » est perçue comme une démarche « extrêmement grave ».

Cette offensive contre la liberté d’expression n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans la continuité de la commission d’enquête TikTok, lancée pour évaluer les effets psychologiques sur les mineurs, mais qui a finalement mené à cette coalition d’associations. On retrouve des parallèles avec la loi Avia, partiellement censurée mais ayant donné naissance à l’observatoire de la haine en ligne de l’Arcom, ou encore des propositions de loi visant à pénaliser les « propos antirépublicains » sans définition précise.

L’utilisation du terme « haine » est particulièrement critiquée. La haine étant un sentiment, sa criminalisation est considérée comme absurde. Les lois existantes encadrent déjà le harcèlement, la violence ou les insultes. L’objectif, selon les invités, est de « stigmatiser » certains propos pour mettre en place des répressions et empêcher les gens de s’exprimer librement. C’est une tactique observée également en Grande-Bretagne et en Allemagne, où des individus sont poursuivis pour de simples publications en ligne.

En somme, derrière la rhétorique de la protection des mineurs ou de la lutte contre la haine, se dessine une stratégie continue de contrôle de l’information et de censure politique. La bataille pour la liberté d’expression, particulièrement sur les réseaux sociaux et les médias alternatifs, apparaît plus que jamais essentielle pour contrer ce que beaucoup perçoivent comme un système de propagande généralisée.

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